LE QUARTIER DE BELLEVAUX, UN LABORATOIRE POUR LE LOGEMENT (par Bernard Zurbuchen)

Image extraite de : Architecture du Canton de Vaud 1920 - 1975, sous la direction de Bruno Marchand, PPUR

« Mme Benj. Méan est encouragée dans son activité à la Cité-Jardin de Bellevaux-Dessus : 40 familles sont maintenant groupées dans les maisons familiales, et le bon effet du grand air et du soleil est déjà sensible. A la fin de ce quatrième hiver, on peut dire qu’un pas en avant est fait par l’assistante sociale ; on ne vient plus à elle uniquement pour les questions matérielles, demandes de secours, placement d’enfants, démarches, recherche de travail, etc., mais, à sa grande joie, c’est la misère morale qu’elle commence à être appelée à soulager »

Extrait du rapport annuel du Service Social de Lausanne de 1934 


Pendant très longtemps le quartier de Bellevaux était un quartier éloigné de la ville et très peu des servi par les transports en commun. On pourrait considérer cette situation comme une tare ou une chose malheureuse, mais on peut également la considérer comme une chance pour le développe ment du logement social dans ce quartier. En effet, le climat relativement froid et l’absence de transports publics avaient pour effet que les terrains étaient bon marché et peu recherchés. 

Au début du siècle à Lausanne, et comme dans beaucoup d’autres endroits d’ailleurs, la situation des familles pauvres était dramatique et beaucoup étaient atteintes de maladies, notamment à cause des conditions d’hygiène de leur loge ment (pas de sanitaire, ensoleillement insuffisant et sur-occupa tion de ces habitations). Il n’était pas rare que cinq à six personnes doivent dormir dans la même chambre et se partager un lit. 

En se référant à la phrase « Être chez soi, dans sa maison, avec un jardin à sa porte », au début des années vingt, les architectes Frédéric Gilliard et Frédéric Godet, aidés par la Ville de Lausanne et dans un courant socialiste qui couvrait toute la Suisse, fondent la Société Coopérative d’Habitation de Lausanne (SCHL), et construisent des Cités-Jardins, tout d’abord celle de Prélaz, en 1920 – 1921, et ensuite celle de Bellevaux pour la Société coopérative des Maisons Familiales. 

Le plan d’une maisonnette, source Idem

La Cité-Jardin de Bellevaux construite à la fin des années 20 proposait sept petites barres de maisonnettes individuelles et mitoyennes possédant chacune une cour d’entrée et un jardin. Ce dernier n’était pas destiné au farniente, comme la plupart des jardins aujourd’hui, mais bien à la culture des légumes nécessaires à l’alimentation de la famille (salades, haricots verts, pommes de terre, carottes, céleri, poireaux, courges ou fruits rouge ou encore poules et lapins). Ce modèle typologique comportait une entrée  avec un WC, une cuisine-séjour et  deux chambres au rez-de-chaussée, ainsi que deux chambres à l’étage sous la toiture et enfin une cave buanderie au sous-sol où était installée une baignoire. Un grand jardin complétait l’ensemble. 

Entre les maisons qui se faisaient face, on trouvait un chemin d’environ 1.5m de largeur qui per mettait aux habitants d’aller jeter leurs déchets végétaux sans de voir passer par la maison et salir la cuisine. C’était le « chemin du compost », dispositif que l’on re trouve dans de nombreuses Cité-Jardin dans toute l’Europe. 

Il faut bien se rendre compte que la surface proposée était très petite par rapport à ce que nous trouvons aujourd’hui ; la surface habitable représentait environ 48 m2 pour ce que nous appelons un quatre pièces avec séjour, alors qu’un tel appartement aujourd’hui est d’environ 90 à 100 m2. Mais l’hygiène et la santé ainsi qu’une certaine joie de vivre étaient garanties, c’était une victoire des mouvements socialistes sur les conditions de logement de l’époque. 

Cette première expérience de logements sociaux a donné le coup d’envoi pour toute une série de constructions dans le quartier ; par exemple, les cinq immeubles à coursives situés juste à côté et construits entre 1933 et 1946, ou encore la Cité Bellevaux – Pavement, défigurée par une rénovation malheureuse dans les années 90, les tours de la Rouvraie et bien d’autres encore sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir dans un prochain numéro. 

Il faut constater une chose dans chacune de ces réalisations, c’est la fragilité de son esthétique ; en effet il n’y avait que très peu de moyens pour les architectes pour rendre « beau » ces bâtiments. L’esthétique reposait sur les proportions (qui ne coûtent rien), la couleur et quelques autres éléments très fragiles et modestes. 

Notre quartier possède de remarquables exemples de logements sociaux dont le caractère précaire est très grand. C’est pourquoi il est important de prendre conscience de ce précieux cadeau et de ne pas le dénaturer. 

Pour en savoir plus sur les maisons ouvrières à Lausanne, voir entre autres, l’article de Gilles Prod’hom : Plaidoyer pour le cité-jardin : les maisons familiales de Frédéric Gilliard dans les années vingt dans les cahiers d’histoire du mouvement ouvrier.