LE QUARTIER DE BELLEVAUX UN LABORATOIRE PERMANENT POUR LE LOGEMENT SOCIAL (Entretien avec le Prof. Bruno Marchand, architecte))

Bruno Marchand, auteur de nombreux écrits sur l’architecture, et notamment de l’ouvrage intitulé « Architecture du canton de Vaud 1920 à 1975 », ouvrage dont nous nous sommes largement inspirés pour les articles parus dans les numéros précédents de notre journal, a bien voulu répondre à nos questions et discuter sur le thème du logement social de notre quartier.

B. Zurbuchen (BZ) : 

Pourquoi le quartier de Bellevaux a toujours été un laboratoire pour le logement social à Lausanne.

B. Marchand (BM) : 

Il y a plusieurs raisons à cela : notamment le fait que les terrains de ce quartier appartenaient pour beaucoup à la Ville de Lausanne, et que cette dernière était dirigée dans l’entre-deux-guerres par une municipalité à majorité de gauche qui avait conscience de la situation catastrophique des familles pauvres, aussi bien en ce qui concerne leur santé que les conditions de logement auxquels elles étaient soumises. La Ville a créé plusieurs sociétés coopératives qu’elle chargeait de réaliser ces opérations de logements et qui ont joué un rôle très important dans le développement de ce type d’habitation.

Une autre raison résidait dans le fait que dans toute l’Europe, cette question du logement social était présente et que de nombreux architectes renommés s’étaient penchés sur la question ; notamment en Allemagne avec la cité Siemensstadt et les architectes, entre autres, Walter Gropius, Hans Scharoun, Hugo Häring ou encore Bruno Taut - avec la cité Hufeisen Siedlung (fer à cheval) - et bien d’autres encore à travers toute l’Europe.

Une autre piste de références est celle des « Kösthäuser » (maisons pour les employés des filatures construites dans toute la Suisse), des maisons très modestes où souvent les habitants pouvaient et devaient cultiver des légumes dans un petit jardin afin de pouvoir subvenir à leurs besoins.

Les quatre petits immeubles d'Aloys Fauquez qui sont les premières réalisations de logements ouvriers dans le quartier, env. 1915

BZ : Quelles sont les étapes marquantes de ce développement ?

BM : La première opération marquante dans le quartier fut celle des petites maisons familiales de la cité-jardin de Bellevaux des architectes Gilliard et Godet, construites à la fin des années 1920, qui comportaient un programme minimum mais surtout un jardin potager donnant sur un petit chemin (le chemin du compost) qui reliait les maisons qui se faisaient face par un espace vert. La deuxième étape importante fut celle de l’ensemble Bellevaux-Dessous avec des immeubles à coursives, édifiées entre 1933 et 1946, où le grand changement résidait dans le fait que le jardin appartenait à tout le monde, il était collectif et n’était pas forcément dédié à la culture de légumes.

Au cours du temps, le quartier n’a pas cessé de proposer des réalisations de logement social, comme par exemple l’ensemble Bellevaux-Pavement des architectes Vetter, Vouga et Wolf réalisé entre 1954 et 1958, où les architectes se référaient à la préfabrication et à une certaine simplification des détails pour diminuer les coûts. Ensuite il y a eu la succession de barres perpendiculaires au chemin d’Entre-bois où la rue n’était plus une référence, ici c’était l’orientation nord-sud qui primait ; par contre tous les bâtiments étaient sur pilotis de telle sorte qu’un seul espace vert et collectif les unifiait et traversait toute la parcelle. Malheureusement aujourd’hui, ces rez-de-chaussée vides et ouverts ont été occupés par divers programmes ce qui enlève le caractère unitaire à cet ensemble et où les espaces extérieurs ne jouent plus leur rôle de liaison pour toute l’opération.

Peu après ce sont des tours au chemin d’Entre-Bois construites en 1961-1963 par l’architecte Bernard Murisier et qui comportaient de nombreux appartements par étage relativement petits. Il est important de relever qu’aujourd’hui les petits appartements sont relativement recherchés vu l’ascension des prix des loyers. On voit ainsi que chaque époque, accompagnée d’une tendance architecturale à caractère social, a été marquée par des constructions remarquables et illustrant les préoccupations du moment. Encore aujourd’hui nous trouvons des réalisations qui cherchent à tenir compte de ces contraintes sociales et économiques et d’un certain mode d’habiter.

Les sociétés coopératives du quartier y sont pour beaucoup puisqu’elles avaient comme but d’améliorer les conditions de vie des moins nantis, ceci sans objectif lucratif.

BZ : Aujourd’hui beaucoup d’habitants se plaignent de l’état de leur maison (fissures, isolation insuffisante, désordre dans les cages d’escaliers, etc.). Y a-t-il une stratégie claire pour, d’une part rénover ces bâtiments et, d’autre part, préserver leur caractère exemplaire et leur rôle de témoins d’une architecture du XXe et surtout d’une situation sociale ?

BM : C’est une question très importante mais à laquelle il est très difficile de répondre. En effet, aujourd’hui, si l’on écoute les spécialistes de l’environnement, il faudrait prendre toutes les mesures pour baisser la consommation sans tenir compte d’autres critères (emballage du bâtiment avec des isolations en sagex, ce qui a pour effet de détruire toutes les caractéristiques des façades).  

Pour le cas de la rénovation partielle du bel l’ensemble de Cité Bellevaux-Pavement (voir article « cité bellevaux-pavement ou la rénovation au botox » paru dans le numéro 2 de votre journal), c’est encore différent. Dans les années 1980, en plein mouvement post-moderne, on voulait « mettre à jour » les bâtiments et les rendre « contemporains ». Le fait que cet ensemble était le témoin d’une démarche très raffinée et qui cherchait une esthétique minimaliste, prenant en compte la contrainte de la préfabrication et du rationalisme, ne semblait pas intéresser les architectes qui ont fait cette rénovation. Malheureusement le respect et la prise en compte de cet aspect n’était pas à l’ordre du jour à cette époque.

Mais pour revenir à la question de la rénovation aujourd’hui et le respect des qualités originales d’une réalisation, je pense que la première démarche à entreprendre est de faire une étude historique de l’ensemble, (démarche qui peut ne pas être très onéreuse), mais qui permettrait de mettre en valeur les caractéristiques et les qualités patrimoniales et d’envisager des solutions pour les préserver. Le témoignage de l’histoire et sa conservation sont également un aspect du développement durable qu’il ne faut en aucun cas négliger. Le patrimoine et les économies d’énergie ne sont pas antinomiques ni contradictoires mais forment un tout que l’on peut nommer le développement durable.

Les immeubles d'Entre-Bois dont les rez-de-chaussée ont été malheureusement fermés






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