PEOPLE: Vous reprendrez bien une part de Bellevaux?

Entretien avec Robert Taillens, un habitant de Bellevaux depuis.... 1932, année de sa naissance

(par Bernard Zurbuchen)

...Encore quelques pas, et là, le croiriez-vous ?
Un métier rare, mais bien de chez nous :
Une manufacture de tuyaux et de matériel pour pompiers !
Lors des essais sur le chemin, attention à vos pieds,
Car l’eau coule de ces tuyaux si bien tissés…

Extrait de : Quelques réflexions sur le chemin de la Motte du n° 4 au n°8, extrait d’un poème écrit par Mme A. Dupuis et paru dans l’ancien journal de quartier (date inconnue)

Une des missions que notre comité s’est donnée est de perpétuer la mémoire de notre quartier, soit en parlant de personnes qui l’ont marqué, soit en décrivant l’architecture et son évolution, car la mémoire d’un lieu ne réside pas seulement dans des traces physiques ou des ruines, mais aussi dans ce qu’on peut appeler des souvenirs ; et ceux-ci sont d’autant plus précieux qu’ils n’existent pas « physiquement », qu’ils sont immatériels et qu’il faut en profiter lorsqu’ils sont là, à notre portée…

Nous avons eu la chance de rencontrer Monsieur Robert Taillens dans sa maison du chemin de la Motte, né le 19 juin 1932 à Bellevaux, qui a travaillé toute sa vie dans le quartier et qui y habite encore aujourd’hui avec son épouse, née également le 19 juin 1932. On peut voir encore aujourd’hui, attenant à son immeuble, son atelier où trône encore un de ses métiers à tisser.

Robert Taillens et sa soeur, qui passaient leur vacances aux Diablerets ou aux Marécottes, ont eu une enfance heureuse passée dans le quartier; tout d’abord dans l’immeuble situé en face du cinéma Bellevaux, en 1946 sa famille s’est déplacée dans un petit immeuble situé au chemin de la Motte 8, où l’atelier de la famille y trouva également sa place. En effet, la famille Taillens avait une activité très particulière : Monsieur Taillens nous a dit qu’il faisait du tissage… A ces mots, nous nous sommes mis à rêver (tapisseries, tissus somptueux, etc.); rien de tout cela, il a tout d’abord travaillé avec son père puis à repris l’affaire à son compte en 1964, lors du décès de son père. En fait, ils tissaient… des tuyaux d’eau pour les pompiers. Ces mêmes tuyaux que l’on voyait devant ou dans les casernes en train de sécher après un exercice ou un incendie, car il fallait être très soigneux avec ces objets pour qu’ils conservent leurs qualités intrinsèques; ils devenaient relativement étanches au fur et à mesure qu’ils se gorgeaient d’eau.

Monsieur Taillens a effectué ses premières classes dans le quartier de Bellevaux pour ensuite aller au collège scientifique de la Mercerie puis à l’École de Commerce. En 1950, une fois son diplôme en poche, il fait une année de stage au centre de l’Angleterre, à Bury ,dans une grande industrie de 600 ouvriers qui produisait des métiers à tisser. 

Fort de son expérience, de retour en Suisse, et après avoir effectué son école de recrue et de sous-officier, il entre dans l’entreprise en 1954 pour seconder son père et travailler sur les métiers et la fabrication des tuyaux. Plus tard, avec le développement de l’entreprise, ils ont également commercialisé tout l’équipement destiné aux pompiers de Suisse romande.

Le soir il arpentait les différentes communes du canton, car c’est elles qui achetaient et commandaient leurs produits, jusqu’à ce que l’ECA (établissement cantonal d’assurance-incendie), en 1999,  ne centralise l’achat de matériel en s’en procurant de grandes quantités à la fois, et lance des appels d’offre. Robert Taillens, avec son fils Lionel relèvent avec succès le défi. (Aujourd’hui, l’entreprise Taillens existe toujours, elle est établie à Romanel sur Lausanne.)

« A l’âge de 75 ans, nous explique Monsieur Taillens, j’ai quitté gentiment l’entreprise »

Robert Taillens, au vu de ses nombreuses démarches dans les communes le soir, nous avouait qu’il n’avait pas le temps de « faire les cafés » pour rencontrer les habitants de Bellevaux. 

Tout ce travail ne l’a toutefois pas empêché, lorsqu’il en trouvait le temps et surtout vers la fin de sa carrière, de se passionner pour le tir et la montagne. Il est d’ailleurs toujours membre du Club Alpin et de la Société des Carabiniers de Lausanne.

Ce qui est passionnant dans notre dialogue, c’est le fait que, en nous racontant sa vie, Robert Taillens nous dresse un tableau historique du quartier, comme par exemple en nous parlant de sa Maman, originaire de l’Emmental, qui, nous dit-il, et comme beaucoup d’autres femmes, a dû remplacer son mari dans l’entreprise durant la guerre, alors qu’elle allait encore aider sa tante les jours de marché à la place de la Riponne. 

« C’était l’époque de l’obscurcissement : il fallait mettre , entre autres, des capuchons noirs sur les ampoules lorsque la sirène retentissait, annonçant le passage des bombardiers » se souvient Monsieur Taillens

Il nous parle aussi des « petites guerres » que les enfants des maisons familiales et les autres, entreprenaient entre eux ; comme quoi la « guerre des boutons » n’a rien d’unique. Il évoque également  notre chef étoilé, Freddy Girardet, né dans le quartier, un peu plus jeune que lui, mais qu’il côtoyait régulièrement.

Tant d’autres souvenirs, qui sont associés à Bellevaux et qui nous apportent la preuve, si cela était encore nécessaire, que ce quartier était (et doit le rester) une source de trésors dont il ne faut en aucun cas perdre la mémoire, et bien au contraire les faire fructifier.

Merci Robert Taillens, pour ce morceau de Bellevaux, à bientôt.

L'affiche de la firme où Monsieur Taillens a fait son stage

Un de ses métiers à tisser les tuyaux qui se trouve toujours dans son atelier



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